LE MOYEN AGE

En poursuivant notre histoire, nous voilà, après le long règne romain, à la période franque, au début du Moyen Age. Le nom de notre faubourg provient très certainement de cette époque. D’après un document daté de 722, le duc Adalbert d’Alsace aurait construit aux environs de Strasbourg son «Koenigshof » (cours royale). La tradition le situe près du cimetière Saint-Gall à cause de sa position sur-élevée. En tout état de cause, Koenigshoffen doit son nom à une résidence royale qui servait aux rois francs lorsqu’ils vinrent à Strasbourg. C’est autour de cette demeure que naissait peu à peu un village libre du même nom.


Gravure de la Tour du Schloessel (1886)

Jusqu’au XIIIème siècle, Koenigshoffen était un faubourg indépendant et l’écoutête qui administrait et jugeait les petites causes était déjà apparu. Un document de 1220 parle d’un lobium, ou cours de justice, à l’entrée du village sur le coté nord de la Route des Romains. Cette « laube » est probablement à l’origine du nom de la Rue de la Charmille (Laubgass en allemand). En 1347, l’empereur Charles IV cède le village aux trois frères Kurnagel en échange d’une forte somme d’argent. Le 31 juillet 1351, la Ville de Strasbourg rachète Koenigshoffen aux Kurnagel. C’en est fini de l’indépendance. A partir de cette époque, le faubourg est aux premières lignes des combats. Le 15 septembre 1392, lors de batailles entre la Ville de Strasbourg et son évêque Friedrich Von Blanckenheim, le quartier est entièrement détruit par un incendie. Pour se protéger plus efficacement, la Ville de Strasbourg décide de construire 12 tours de guet dont l’une à Koenigshoffen : la Tour du Schloessel. Une autre des douze tours a été construite Route de Schirmeck - la Tour Verte - disparue aujourd’hui.

A l’abri de cette tour, quelques habitations s’installèrent, principalement des maraîchers-jardiniers. Ils trouvaient là des terres très riches constituées de sable, de gravier et de loess, et de ce fait très propice à la culture. La corporation des maraîchers est citée pour la première fois en 1318 par le terme d’ortulanus. Depuis 1483, elle était la 19ème corporation de la ville. En importance cependant, elle était la première ou la seconde. C’était la seule à avoir trois poêles : un à la Krutenau, un autre au Faubourg de Pierre et un dernier au Faubourg National. Après le troisième agrandissement de la ville entre 1370 et 1390 et la destruction de Koenigshoffen en 1392, les maraîchers s’installent dans les parties de la ville nouvellement close, là où il subsistait des terres non bâties. Ces familles y restèrent pendant près de cinq cents ans. Elles représentaient une société à part, à l’écart géographiquement mais aussi mentalement. Bien que souvent ils n’étaient pas propriétaires des terres qu’ils cultivaient, ils réussirent à faire fortune grâce au monopole de la semence d’oignons que la corporation possédait.


costume de maraîchère

Dans le domaine de la Tour du Schloessel (appelait aussi le Schnokeloch ou trou à moustiques) se trouvaient également un moulin mais surtout une auberge. C’est autour de cette auberge qu’est née la célèbre comptine alsacienne « de Hans Im Schnokeloch ». Le restaurateur de cette époque s’appelait Hans et sa devise était « Jean du Trou aux moustiques a tout ce que l’on veut ». Hélas, les clients n’étaient pas tout à fait de cet avis et ils changèrent la devise : « Tout ce que l’on veut, Hans ne l’a pas ; et tout ce qu'il a, on n'en veut pas». Les modifications qui sont apparus au cours des siècles suivants ont donnés la version actuelle dont le refrain n’a pas changé :

D’r Hans im Schnookeloch
Hett alles, was’r will ;
Doch was’r will, des hett’r nit
Un was’r hett, des will’r nit !


Cette vue du Couvent des Capucins, anciennement le Couvent des Chartreux, montre au premier plan l'ancien verger des moinesqui perpetraient ainsi la mémoire maraîchère du faubourg.

Une part importante de l’histoire de Koenigshoffen a été écrite par l’arrivée des Chartreux à l’extrémité Ouest du faubourg, estimée aux environs de 1333 - 1339, en provenance de la Grande Chartreuse de Grenoble.


le parc du couvent des Capucins vu depuis les étangs de pêche de Koenigshoffen


La photographie représente l'actuelle villa dite villa Gruevers'guet qui se trouve sur le site du Kupferhammer. Lorsque l'on arrive vers cette bâtisse par le sentier provenant de la forêt, on peut deviner les restes du martinet à cuivre.

Les très nombreux méandres des différents cours d’eaux qui traversaient Koenigshoffen - la plupart ont été asséchés depuis - étaient tout à fait propices à l’installation de moulins, constituant l’une des seules sources d’énergie pour l’époque. A la fin du XVème siècle, l’un des premiers sinon le premier moulin à papier est construit sur le Mulbach, bras de rivière provenant de la Bruche. Par la suite, plusieurs moulins y ont été construits, Strasbourg à un moment en comptant plus de 30.
Dans le faubourg de Koenigshoffen, il existait principalement trois moulins : le moulin supérieur sur l’actuel terrain de la Société Alsacienne de SuperMarché (SASM), un autre permettant de moudre le grain (Wittenmühle) près du Castel du Breuscheck - la Tour du Schloessel -, et enfin un dernier sur le site dit du Kupferhammer. C’est celui-ci qui est considéré comme le premier moulin à papier de Strasbourg. Son histoire fut des plus tourmentée : à la suite d’un incendie en 1676, il est reconverti en moulin à poudre (Pulvermühle) qui explosa cinq années plus tard. Deux banquiers rachètent les lieux pour le transformer en 1685 en martinet à cuivre, marteau à bascule actionné par la force du moulin et servant à battre principalement le cuivre mais aussi d’autres métaux. Ces lieux furent alors nommés Kupferhammer. Ces bâtiments qui gênaient le tir durant le siège des Allemands en 1870 furent détruits par les assiégés. Ces lieux ont été très probablement revendus à la famille Gruber en 1875. Il existait bien entendu d’autres types de moulins comme le moulin à garance qui permettait de produire une teinture rouge utilisée pour les tissus.


plan esquissé par A. Silbermann en 1775.

Cette reproduction est intéressante sur plusieurs points. Elle montre en particulier les différents agrandissements de Starsbourg. On distingue au centre un trait flou entourant la cathédrale : il délimite le pourtour de l'ancien camp romain tel qu'il était au IVème siècle. La zone I indique le premier Strasbourg après l'occupation militaire. Les zones II et III se sont par la suite entourées de remparts plus imposants. L'agrandissement du front Ouest de Strasbourg (zone IV -le nord ne figure pas vers le haut sur la carte mais vers la droite) fut réalisé entre 1370 et 1390 pour contenir les familles de maraîchers et leurs terres en cas de siège. Et effectivement, suite à la destruction du faubourg en 1392, elles s'y installent. Les quelques bâtisses que l'on voit à gauche dans cette zone sont en fait des couvents qui, eux aussi, possédaient des jardins. Ils ne dérogeaient donc pas à la règle. Cependant, très rapidement, par manque de place, ces terres initialement réservées à la culture, sont envahies par les constructions.

Bien que de très mauvaise qualité, ce plan permet tout de même de deviner les quatre zones d'occupations des sols qui régissent les constructions à l'époque. On distingue les remparts édifiés par Vauban au XVIIème siècle en bas à droite. La première zone d'occupation, entre ces remparts et la limite verte, est absolument inconstructible pour des raisons militaires, une sorts de no-mans-land. L'artillerie ne voulait être génée par aucun bâtiment pour d'éventuels tirs. Les règles de la zone II étaient également très strictes, seul le Roi de France aurait pu, et encore, y construire une demeure. La zone IV était trop éloignée des remparts de la Ville et, au Moyen Age, il était impératif de pouvoir se réfugier rapidement en cas de problèmes. Enfin seule la zone III était habitable par tout un chacun ; à deux conditions cependant : l'une que ces bâtisses ne renferment aucune caves, l'autre que les murs puissent être détruits par le feu en moins de 24 heures si nécessaire. Ceci devait éviter que d'éventuels assiégeants ne puissent trouver des abris facilement. En fait, à plusieurs reprises au cours de l'Histoire, l'armée a rasé des bâtiments parce qu'ils génaient les tirs.
Cette règle a en fait perduré jusqu'au milieu du XIXème siècle au moins ; les murs des fermes, recouverts de crépis pour certaines, étaient faits de bois et torchis.


J. Hatt, Une ville du XVème siècle (1929)

On distingue aussi sur ce plan les voies de chemins de fer telles qu'elles existaient à la fin du XIXème siècle avec la gare de marchandises à Koenigshoffen et la gare des voyageurs sur l'actuelle Place des Halles.

A la fin du XVIIème siècle, Vauban a renforcé les défenses de la ville de Strasbourg. On peut voir par exemple l’un de ses ouvrages à la Citadelle à l’Esplanade. Pour cette réalisation, il fit construire en 1682 un canal - le canal de la Bruche - qui permettait d’acheminer depuis les Vosges les pierres nécessaires. Ce n'est qu'il y a quelques décennies que les portes originales en bois des écluses ont été enlevées.


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l'époque suivante : les Brasseurs